Le miroir magique de la chimie

La plupart des molécules biologiques présentent la particularité de pouvoir exister sous deux formes en miroir, « droite » et « gauche », comme nos deux mains. Alors, pourquoi rencontre-t-on sur Terre une seule de ces formes ?

Colonnes de temples "énantionères" © HENRI KAGAN

Impossible d’enfiler un gant droit sur une main gauche ! En effet, main droite et main gauche ne sont pas superposables, mais symétriques l’une de l’autre dans un miroir. Cette propriété se nomme « chiralité », du mot grec kheir qui signifie main. De même certaines molécules possèdent deux variantes symétriques et non superposables, comme des mains :  elles sont dites « chirales » et leurs formes nommées « énantiomères ». Chacune d’elle agit sur la lumière polarisée plane et possède un pouvoir rotatoire. C’est-à-dire que deux énantiomères traversés par cette lumière feront tourner le plan de polarisation dans des sens opposés.

Un problème ancien, toujours d’actualité

C’est Pasteur qui a découvert la chiralité, en séparant sous microscope deux variétés cristallines « droite » et « gauche » de tartrate de sodium et d’ammonium. De nombreuses molécules du vivant (acides aminés, protéines, ADN, sucres…)  sont chirales. Mais dans la nature seule une des formes existe ! Par exemple les acides aminés des protéines n’existent que sous la forme L ; au contraire les sucres présents dans l’ADN des organismes vivants sont eux uniquement de forme D. Pourquoi L plutôt que D ou l’inverse? Deux hypothèses s’affrontent : le hasard ou l’origine extra-terrestre. Première hypothèse, le hasard : un des énantiomères serait apparu sur Terre en léger excès dans la « soupe prébiotique » – par  exemple grâce à l’action d’une lumière polarisée circulairement, qui favoriserait la destruction d’un des deux  énantiomères. Non polarisée, la lumière du Soleil peut le devenir lors de la traversée de l’atmosphère ou grâce à des  reflets sur l’eau ou encore à des interactions avec certains cristaux. Autre scénario : la cristallisation préférentielle d’une des formes est aussi possible dans des conditions particulières. Tout excès initial d’un énantiomère pourrait ensuite être amplifié par divers processus. Par exemple, l’équipe d’Henri Kagan à Orsay a utilisé en 1974 une lumière polarisée  circulairement dans ce but.

Deuxième hypothèse, l’origine extraterrestre : des météorites, contenant un léger excès d’un énantiomère des molécules « briques » du vivant, auraient ensemencé la Terre. Et en effet, l’analyse de météorites a mis en évidence de légers excès énantiomériques qui auraient été amplifiés sur Terre.

Le mystère de l’origine du pouvoir rotatoire des molécules du vivant n’est pas encore éclairci !

CONTACT :
Henri KAGAN
ICMMO – Institut de Chimie Moléculaire et des Matériaux d’Orsay (PSUD, CNRS), membre de l’Académie des Sciences, henri.kagan@u-psud.fr