Les enjeux… du temps long

Nucléaire, solaire, pile à combustible… Et si nous avions les moyens de déterminer quelle sera l’énergie de demain grâce à l’histoire des techniques ?

Moulin à eau avec roue à aube ©Jean -Pol GRANDMONT

À l’heure actuelle, on cherche une solution qui offre une énergie sûre et abondante. Peut-on se baser sur l’histoire passée des techniques pour déterminer l’ampleur du changement auquel notre société sera confrontée ainsi que certaines de ses modalités ? Les historiens des techniques utilisent l’énergie comme un des critères pour penser le changement technique. Bertrand Gille (1920-1980) a proposé le concept de systèmes techniques, où deux idées fortes sont mises en avant : la cohérence et l’interdépendance des techniques entre elles. Au cours du temps, la société européenne a connu trois systèmes techniques différents.

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La roue, la mine et la fée
Le plus ancien système, eau/bois/métal émerge vers le Xe siècle. Son objet emblématique est la roue hydraulique. Son expansion n’est pas explicable par une innovation mais plutôt par une conjonction de facteurs, dont les progrès en métallurgie, des changements dans l’agriculture et l’essor de l’ordre des moines Cisterciens, qui va développer une grande connaissance de l’hydraulique. Le système suivant est celui du fer/charbon/vapeur. Une pénurie de bois pour la métallurgie en Grande-Bretagne à la fin du XVIIe siècle pousse à l’essai de combustibles comme la houille. À la fin du XVIIIe siècle, les machines à vapeur vont permettre peu à peu de s’affranchir des contraintes liées aux roues hydrauliques, et s’imposer lorsque le système de transport permet une utilisation du charbon concurrentielle par rapport à l’eau, qui ne coute rien. Les changements se font sur de nombreux plans, économiques, sociaux, etc., comme le passage des ateliers aux manufactures. Au XIXe siècle la structuration du travail change ainsi que le rapport au travail. À la fin du XIXe siècle, à l’heure de la naissance de notre système actuel, pétrole/électricité/alliages, pouvait-on avoir des indices sur le système technique à naître ? Prenons l’exemple de l’éclairage. En 1880 l’électricité, que l’on ne sait pas alors transporter à distance, coûte deux fois plus cher que le gaz. Il y a de plus une législation plus favorable au gaz, et l’on craint de mettre les ouvriers gaziers au chômage. Dans les habitations, cette période voit parallèlement le développement de l’éclairage par des lampes à pétrole et la persistance de la bougie. Ce n’est qu’à la veille de la première guerre mondiale, en 1914, que l’électricité se généralisera.

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La dynamique du changement technique
Il y a donc une grande variété de techniques au départ sans que l’une se dégage particulièrement. En même temps le pétrole émerge comme combustible mais aussi comme source de matériaux nouveaux, comme les isolants. La carbochimie européenne cède la place à la pétrochimie américaine. Aujourd’hui, les notions de cohérence et interdépendance au sein d’un système, technique impliquent que la fin des ressources fossiles ne signe pas seulement la fin de sources d’énergie mais annonce la transformation de tout un système complexe, au niveau technique et sociétal. Par l’étude de l’histoire des techniques on peut savoir qu’il va y avoir à nouveau un changement de système technique de grande ampleur. Le développement soutenable est l’enjeu du futur. Thomas P. Hughes, comme d’autres historiens des techniques contemporains, préconise
une approche globale et pluridisciplinaire faisant intervenir architectes, écologues, urbanistes, sociologues, spécialistes des énergies, etc. pour affronter cet enjeu.

CONTACT
Virginie Fonteneau, Étude sur les sciences et les techniques, virginie.fonteneau@u-psud.fr