Un ancêtre improbable des périodiques mathématiques : « the Ladies Diary »

La diffusion de la culture scientifique et technique est différente à chaque époque et traduit un rapport science-société spécifique. A l’Université Paris-Sud, le Groupe d’Histoire et de Diffusion des Sciences d’Orsay (GHDSO) s’intéresse notamment à la circulation des savoirs mathématiques des Lumières à la seconde guerre mondiale.On assiste aujourd’hui à une révolution des formes de communication en sciences. C’est notamment le cas pour les mathématiques dont le système de communication a connu et connaît toujours une restructuration. Ce phénomène est apparu dans la seconde moitié du 17e siècle avec la naissance des journaux savants – comme le Journal des Savants en 1665 à Paris ou les Acta Eruditorum en 1682 à Leipzig – et s’est développé ensuite, notamment au XIXe siècle, avec l’apparition de journaux spécialisés en mathématiques, dont certains sont toujours vivants. Les historiens des mathématiques se sont déjà intéressés aux journaux mathématiques mais ils se sont cantonnés à un certain nombre de « grands » journaux, du XIXe siècle en particulier, dont certains ont même fait l’objet de monographies. Le projet de recherche international que le GHDSO mène avec deux laboratoires partenaires, « Les Archives Henri Poincaré » et le « Centre Alexandre Koyré » a pour ambition de reprendre cette histoire de la circulation des mathématiques en élargissant le corpus des journaux considérés.

Le rôle social des mathématiques
Nous avons choisi d’étudier cette question par l’analyse des processus d’acculturation et d’appropriation des mathématiques par des publics différents : publics de professionnels, d’utilisateurs, d’amateurs, d’étudiants.  En faisant ainsi entrer sur la scène historique des acteurs et des journaux jusque là ignorés de l’histoire des mathématiques, on découvre de
nouvelles pratiques des mathématiques dans des sphères sociales et culturelles les plus variées. La compréhension sur le temps long du rôle social des mathématiques, dans des
contextes géographiques et nationaux donnés, en est singulièrement enrichie.

The Ladies Diary
Nous pouvons ainsi prendre l’exemple d’un des ancêtres totalement improbables des périodiques spécialisés en mathématiques. The Ladies Diary, est un almanach fondé en Angleterre en 1704, genre populaire alors très en vogue. Ce qui est frappant, c’est que c’est sur sa rubrique de questions arithmétiques, que son succès s’est établit, un succès remarquable avec 30 000 exemplaires au milieu du 18e siècle. Son premier éditeur en fit la publicité en décrivant ses questions arithmétiques comme « an entertaining and delightful subject » (un thème amusant et délicieux), précisant : « the questions may be very pleasant, not too hard and be proposed in verse » (les questions peuvent être très agréables, pas trop difficiles et seront proposées en vers). Mais d’amusantes, les mathématiques du Ladies Diary devinrent ensuite un outil de spécialisation de métiers. Le
public féminin, avéré au début, céda bientôt la place aux praticiens des mathématiques (arpenteurs, cartographes, fabricants d’instruments, tisserands, militaires, architectes, enseignants de mathématiques pratiques et leurs étudiants) et aux gentlemen oisifs.
Le niveau des questions augmenta, la versification disparut et la sociabilité mathématique créée autour du journal se transforma ; avec l’almanach et sa quinzaine de pages annuelles de questions-réponses, ce sont alors les valeurs morales des mathématiques
qui sont promues auprès des lecteurs, leur rigueur d’esprit et leur précision numérique. Encore populaire au début du XIXe siècle, the Ladies Diary, s’arrêta au milieu du siècle.

Contact : Hélène Gispert, GHDSO, helene.gispert@u-psud.fr